Dialogue social Digitalisation Partenaires sociaux européens L’accord-cadre des partenaires sociaux européens sur la numérisation Bianca Cuciniello et Rebekah Smith Bianca Cuciniello et Rebekah Smith Publié le 21/10/25 Sommaire La négociation de l’accord-cadre La mise en œuvre de l’accord-cadre Les auteurs Bianca Cuciniello fait partie du Département de la négociation dans le secteur privé et des politiques sectorielles, UIL (Italie), elle est membre de la délégation de négociation de la Confédération Européenne des Syndicats (CES). Rebekah Smith est Directrice adjointe, Département des affaires sociales, BUSINESS EUROPE. Fermer Les auteurs Bianca Cuciniello fait partie du Département de la négociation dans le secteur privé et des politiques sectorielles, UIL (Italie), elle est membre de la délégation de négociation de la Confédération Européenne des Syndicats (CES). Rebekah Smith est Directrice adjointe, Département des affaires sociales, BUSINESS EUROPE. L’accord-cadre européen sur la numérisation (1) a été signé pour la partie syndicale par la Confédération européenne des syndicats et pour la partie patronale par BUSINESS EUROPE, SMEunited et SGI Europe (anciennement CEEP). Les négociations ont duré 9 mois, de juin 2019 à mars 2020, en associant plus de soixante représentants patronaux et syndicaux des niveaux nationaux. Il a été approuvé par les organes décisionnels respectifs et officiellement signé dans le cadre du sommet social tripartite du 22 juin 2020. Il constitue un véritable cadre européen d’orientation pour accompagner les employeurs, les travailleurs et leurs représentants, dans chaque Etat-membre de l’Union européenne, dans les négociations relatives aux transformations numériques. La négociation de l’accord-cadre Rebekah Smith (BUSINESS EUROPE) L’accord vise àsensibiliser les employeurs, les travailleurs et leurs représentants, améliorer leur compréhension des opportunités et des défis qui résultent de la transformation numérique et proposer un cadre orienté vers l’action pour les guider et les aider. Il entend également encourager une approche partenariale entre ces parties prenantes, soutenir une dimension humaine prépondérante dans l’intégration de la technologie au sein du monde du travail, soutenir/assister les travailleurs et améliorer la productivité. Nous voulions tout d’abord poser des fondations, établir un climat de confiance entre les acteurs mais aussi souligner qu’il est nécessaire de mettre en place un véritable processus avec différentes étapes qui doit être géré de façon conjointe. Nous avons souhaité instaurer un véritable partenariat entre les représentants des travailleurs et des employeurs. La digitalisation est un sujet extrêmement large mais nous souhaitions traiter cette question de façon holistique pour que les partenaires sociaux puissent intervenir et s’adapter à la digitalisation sur le lieu de travail. Pour les employeurs, il était important de laisser une certaine flexibilité dans la mise en œuvre d’accords dans, au niveau national et au niveau des branches professionnelles. Nous avons également pris en compte le fait que les différents pays et organisations n’ont pas le même niveau de maturité et de compréhension de la digitalisation. Nous avons défini des points clefs à prendre en compte et à discuter à travers ce processus : les compétences digitales et la sécurisation de l’emploi. Les modalités de connexion et de déconnexion, l’intelligence artificielle avec le principe de garantir le contrôle humain, le respect de la dignité humaine et la notion de surveillance. L’enjeu est également de mettre en place une véritable culture de l’apprentissage dans le travail et dans la société en général. Les formations doivent être prises en charge par l’employeur et doivent être comprises dans le temps de travail. En matière d’emploi, si un poste change - ce qui va souvent arriver avec la digitalisation – il est nécessaire que les travailleurs aient les bonnes compétences pour changer d’emploi. Les négociations sur les modalités de la connexion et de la déconnexion ont été compliquées. Le sujet a suscité de véritables débats au sein de l’Union européenne, mais je pense que nous avons pu négocier un point bien plus concret que lors de précédents accords. Notre accord prévoit que chaque fois qu’un employeur contacte un salarié en dehors des heures de travail, le salarié peut refuser ce contact ou doit être indemnisé s’il l’accepte. Un point important a également été abordé : la question de la santé mentale associée à la problématique de l’isolement lorsque les personnes doivent travailler de façon plus autonome. Lorsque nous parlons de l’IA, il faut se référer au cadre européen qui place l’humain au cœur de la décision, pour une IA explicable, en conformité avec la RGPD. L’enjeu est clairement de trouver un équilibre entre les aspects positifs de la numérisation, les défis qui s’offrent en termes d’opportunités et les risques. Bien sûr, nous avions des différends avec les représentations syndicales, mais c’est à cela que servent les négociations. La discussion sur les capacités et les connaissances était notamment très importante. Il ne s’agit pas de supprimer purement et simplement des postes, mais de les adapter. Je crois que nous avons trouvé un accord sur ce point. C’est pour cela que nous avons parlé de la sécurisation de l’emploi plus que des postes à proprement parler. Bianca Cuciniello (UIL) Pour la représentation syndicale, l’enjeu principal était de gérer dans leur ensemble les impacts de la numérisation sur l’organisation du travail, notamment les risques que nous avons bien cadrés dans cet accord. Il s’agit surtout de conserver l’emploi, parce que la numérisation va remplacer des tâches qui sont aujourd’hui réalisées par des travailleurs. Le chapitre sur la formation est ainsi nécessaire pour maintenir l’emploi et faire évoluer les compétences en suivant les évolutions technologiques. Ce qui implique le changement de l’organisation de travail de l’entreprise. La santé au travail a été débattue avec les modalités de connexion et de déconnexion. Au début, la CES se plaçait du côté du droit à la déconnexion. Ce point de débat a trouvé un point d’accord entre la représentation syndicale et les associations patronales, comme l’a évoqué Rebekah, avec le droit du salarié de refuser d’être contacté en dehors de son temps de travail. En matière de données personnelles, nous nous sommes basés sur la RGPD et notamment sur l’article qui fait référence à la possibilité d’avoir un représentant des salariés en charge de la gestion des données. Un autre aspect fondamental de la négociation a concerné l’intelligence artificielle, un sujet aussi en cours discussion avec les projets réglementaires proposés par la Commission. Nous avons bien mis en évidence le fait que les machines ne peuvent pas prendre de décision. Il y a besoin du contrôle humain, car il faut contrôler les algorithmes qui sont écrits par des techniciens sur la base d’une énorme quantité de données. Il faut contrôler leur conformité avant leur réalisation. Il n’est pas acceptable qu’un algorithme décide du licenciement ou de la promotion d’un salarié sur la base de traitements statistiques. Beaucoup d’algorithmes sont écrits en majorité par des hommes, donc il y a aussi un risque de discrimination. L’accord-cadre a adopté l’approche d’une gestion conjointe des partenaires sociaux. Il s’agit de mettre en place dans les entreprises des observatoires, des comités d’éthique pour mener des analyses, débattre des enjeux liés à la transformation numérique et trouver des solutions applicables aux projets d’innovation technologiques. Des entreprises ont mis sur pied ces comités. Notre idée est de faire vérifier par des experts que les algorithmes respectent les contrats collectifs et le droit du travail. C’est à travers un process circulaire conjoint entre les représentants des travailleurs et ceux de l’entreprise que doit être étudié le projet de transformation numérique avant de le mettre en place. Nous avons besoin de faire vivre cet accord, il faut le faire circuler pour appliquer sur le terrain ce que nous avons mis au point au niveau européen. La mise en œuvre de l’accord-cadre Bianca Cuciniello (UIL) Le processus est à suivre au niveau national. En Italie, nous avons transmis la traduction de l’accord à l’association patronale pour essayer de signer un accord national qui va transposer les principes de l’accord-cadre européen. Nous continuons à diffuser l’accord au niveau européen dans toutes les instances de dialogue. La solution que nous avons trouvé pour les modalités de connexion et de déconnexion a été utilisée dans plusieurs accords, aussi bien au niveau des branches professionnelles, qu’au niveau national ou au sein de comités d’entreprise européens. Nous avons abordé dans le préambule de l’accord une question essentielle qui n’est que peu débattue pour le moment, l’enjeu environnemental. Il faut savoir que les data centers utilisent beaucoup d’eau pour le refroidissement des machines. C’est un sujet. L’eau est une ressource précieuse et je pense que c’est un sujet qu’il faudra aborder dans le futur. Le business model du numérique, notamment celui des plateformes doit également être traité. Un ensemble de sujets sont à suivre avec attention, pour continuer à gérer ensemble la transformation numérique au fur et à mesure des innovations technologiques. La question de l’employabilité a été débattue au cours de la négociation. Nous avons consacré beaucoup de temps au chapitre de la formation, des compétences et des connaissances, notamment sur la prise en charge de la formation des salariés par l’employeur pour leur permettre de faire face à la transformation de l’organisation du travail en cas d’innovation technologique. Je pense qu’il faut désormais aborder ce sujet dans le cadre de la formation continue. Enfin, c’est le périmètre d’application de notre accord qui a orienté sa rédaction. Il faut garder à l’esprit que l’accord est adressé à tous les Etats membres de l’Union européenne. Selon les pays, il n’y a pas les mêmes niveaux de dialogue social, de modalité de négociation, de niveau de reconnaissance des syndicats. Dans certains d’entre eux, il n’y a aucune obligation d’informer les salariés sur les projets d’innovation technologique et de transformation numérique. Rebekah Smith (BUSINESS EUROPE) Nous avons une initiative européenne qui devrait voir le jour cette année avec la mise en place d’un soutien dans la mise en œuvre de l’accord-cadre avec le développement d’un outil numérique. Nous souhaitons nous assurer que l’ensemble de nos membres puissent le mettre en place dans les meilleures conditions possibles. Les Etats membres qui ont l’habitude de ce type de négociation aideront ceux qui connaissent moins le processus. Les discussions à venir devraient porter, me semble-t-il, sur différents sujets : les modalités de connexion et de déconnexion, le télétravail, la santé et la sécurité au travail, la définition du lieu de travail, les obligations des salariés et des employeurs, la manière d’établir des règles de manière saine, efficace et constructive pour les deux parties. Nous espérons que notre travail va vraiment aider à mettre en œuvre l’accord-cadre au sein de l’UE et d’élargir sa pertinence à tous les acteurs du monde du travail. Nous avons parlé de la sécurisation de l’emploi, mais ce sujet dépend beaucoup du système national qui peut être différent d’un pays à l’autre. Tant que nous assurons la transposabilité des connaissances de manière large, nous éviterons des pertes d’emploi liées à la numérisation. L’IA soulève de nombreuses craintes, comme celle de la discrimination, mais l’IA peut aussi avoir une approche neutre. Pour les systèmes de recrutement, il faut de la transparence et du contrôle humain. La question qui se pose est « Jusqu’où ? ». Il s’agit de trouver un juste milieu entre suffisamment de transparence pour que les gens se sentent impliqués et des systèmes fiables. L’IA présente des risques mais aussi des avantages. Tout nouveau processus doit être expliqué aux travailleurs. Nous en avons parlé dans l’accord : il faut renforcer la confiance entre les parties avant de mener à bien les actions, mais de manière raisonnable pour éviter un ralentissement du processus de transformation numérique et rester compétitifs. Une autre question se pose depuis des décennies au niveau européen : « Est-il approprié pour l’Union européenne de réglementer sur le statut des travailleurs ? » Le problème, me semble-t-il, est la manière dont les Etats membres déterminent le statut d’employé qui diffère énormément d’un pays à un autre. Cela étant dit, nous allons avoir des discussions sur la santé et la sécurité au travail et nous allons nous pencher sur la définition du lieu de travail (notamment avec le sujet de télétravail). Tout cela est lié. Je pense qu’il va être difficile pour l’UE de définir précisément les différents statuts d’un travailleur. C’est tellement enraciné dans les législations nationales que je ne pense pas que nous pourrons avoir une identité européenne commune sur ce sujet. Pour aller plus loin Framework Agreement_On digitalisation (ENG) PDF - 996.0 Ko Intervention de Rebekah Smith PDF - 1 778.9 Ko Accord européen sur la transformation numérique des entreprises : pour un dialogue social technologique PDF - 692.6 Ko Partie précédente Article suivant Partie précédente L'écosystème européen Article suivant L’accord relatif à l’impact du numérique sur les conditions de travail et d’emploi dans les entreprises de l’économie sociale et solidaire Ceci pourrait vous intéresser L’utilisation de l’IA en gestion des ressources humaines au Québec Au Québec, l’IA s’intègre progressivement en ressources humaines, surtout dans le recrutement, la formation et l’évaluation, même si 60 % des organisations n’en font pas encore usage. Son développemen... Québec La planification de la succession ... 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